Après dix ans d’ascèse en cave, le millésime 2012 renoue d’emblée avec son naturel volubile, sa profondeur aromatique, son voluptueux tissage de myrtille, de réglisse et d’encens. Il conserve au nez ce je ne sais quoi d’abordable, de généreux sans esbroufe.

Au toucher, c’est une caresse entre la pulpe et la soie. Le vin a gardé la fraîcheur et la vigueur de sa première expression, avec un merlot puissant qui, comme en 1998, tient son rang sans submerger le grain du cabernet.

Le critique Robert Parker lui trouvait « la richesse d’un gratte-ciel ». Une décennie et quelques étages plus tard, on sent pointer quelques notes de chocolat noir et un coup de fouet d’eucalyptus en finale.

La vigne porte encore les séquelles de la grêle de juin 2011. Les vignerons travaillent un bois fin, peu vigoureux, dans un climat humide et frais, sous la pression constante du mildiou.

D’avril à juin, la météo entraîne un débourrement tardif et fastidieux. Le soleil continue de se faire porter pâle et la floraison en pâtit, révélant des coulures sur les plus vieux merlots.

Au 23 juillet, la véraison annonce un millésime tardif. Le mois d’août est le plus chaud enregistré depuis 2003. Quasiment pas une goutte de pluie n’abreuve la vigne jusqu’au 10 septembre.

Des conditions favorables au stress hydrique et à une maturation galopante des merlots, dont on entrevoit les tanins, la couleur et le potentiel. Si le raisin n’est pas aussi foisonnant que prévu…

La pluie rattrape son retard. On vendange à la hâte, entre le 1er et le 15 octobre, sans interruption et sans relâche. Les vignerons se relaient sous la halle, nouveau cœur battant du domaine.

La totalité des cabernets est récoltée en six jours, sous l’assaut de la pluie et la pression du botrytis. Les merlots rappellent ceux de 2008 — et sont aussi riches que les cabernets sont fins.

Si le rendement est faible, les vignerons ont la chance de réceptionner le raisin dans un cuvier repensé, remodelé pour préserver l’intégrité des baies et leur traçabilité.

À chaque parcelle, sa cuve thermorégulée. Tout est pesé au trébuchet, du choix des levures naturelles à l’assemblage final. Une irréductible minutie et l’exigence en partage.

Là, dans un silence en clair-obscur, sa trame se sculpte et s’impose. Élevé 21 mois en fûts de chêne, le millésime s’affine et franchit les stades immuables de l’élevage.

Un temps nécessaire pour lui imprimer le message de son sol, lui conférer le corps et la chair qui lui permettront de grandir et de s’épanouir dans ses habits de tanins.

Une fois « capturé » en bouteille, le grand vin n’en est qu’aux prémices de sa vie. Il pourra vieillir des décennies avant de se livrer, dans toute sa richesse et sa complexité.